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Construction du Monument de Müncheberg 1916 - 1918
Préservation en attente de restauration, Photo : Paul Monseux,
Col. J. - J. Caffieri
MÜNCHEBERG
1914 – 1918 UNE MEMOIRE DE L'EUROPE
Jean – Jacques Caffieri
L’histoire du monument aux morts des prisonniers de la guerre 14-18 est reconstituée à partir de lettres
et de photos que Paul Monseux, mon grand père, envoyait à son épouse Elles sont conservées par la famille, dans un « porte-feuilles» en toile avec un ruban « Noël 1915 Le Vêtement du prisonnier ».
Devenu patrimoine il a été conservé pieusement par ma grand-mère et ses enfants. Paul Monseux, né le 12 décembre 1875, était marié et avait 3 enfants en 1914, à la déclaration de la Guerre. Il exerçait la profession d’entrepreneur de travaux publics à Valenciennes. TOBIE Tobie, saint homme,
juif de la tribu de Nephtali, est emmené en captivité avec les autres sujets du royaume d’Israël, par Salmanazar, roi d’Assyrie, 700 et quelques années avant Jésus - Christ. Il ensevelissait soigneusement ceux qui étaient morts ou qui avaient été tués…. Le roi Sennachérib, étant revenu de Judée, fuyant la plaie dont Dieu l’avait frappé, faisait tuer dans sa colère beaucoup de fils d’Israël et Tobie ensevelissait leurs corps. Mais lorsque le roi
l’appris, il ordonna de le tuer. 50 jours après, le roi est assassiné par ses fils et Tobie rentre chez lui TOBIE, Chapitre I, versets 18 à
25 Depuis de nombreuses générations, ce texte illustre le culte dû aux morts et le dernier
hommage rendu aux disparus par leurs camarades de combat. C’est ce respect de leurs mémoires qui a conduit à l’édification de ce
cimetière au camp de prisonniers de Müncheberg ( Allemagne). L’avant Müncheberg,
le camp de prisonniers de Zossen – Wünsdorf Paul Monseux est fait prisonnier dès 1914 ; Son premier camp d’internement est Zossen, camp
situé à 50 km au sud de Berlin. Il est interné en Allemagne jusqu’à la fin novembre 1918.
Arrivée des prisonniers à Zossen et Camp de prisonniers de Zossen - Wünsdorf
Ma première demeure, dessin de Paul Monseux Ils grattèrent la terre….. Ici
gîtent – un zouave - un chasseur - un pionnier - un artilleur -
un fantassin en frise, inscription du linteau « Là, les hommes grattèrent la terre comme des bêtes pour s’enfouir lorsque le froid devint trop dur » ( Jean-Claude Auriol, Les Barbelés des Bannis)
Dessin de la chapelle de Wunsdorf, aménagée par Paul Monseux
Dès le début de son séjour, il s’occupe des tombes de ses camarades comme le montre ces deux 2
photos, deux morts pour la France de Zossen-Wunsdorf
Mort pour la France à Zossen
Mort pour la France à Wünsdorf
A noter en arrière plan sur l’une,
la tombe d’un civil de la zone rouge, occupée ( Nord de la France)
Paul Monseux : dessin du cimetière de Zossen., « Les prisonniers conduisent l’un des leurs à sa dernière demeure »
Les portraits d’un tartare et d’un sénégalais sont caractéristiques de la population
de ce camp
Dessins de Paul Monseux. Dans le camp du Wünsdorf, Les prisonniers des troupes coloniales étaient regroupés en vue de leur endoctrinement
A Muncheberg, le kommando de travail (scierie) pour les prisonniers français et russes Ce Camp est situé à 60 km à l’est de Berlin Paul Monseux est affecté dans ces lieux à la fin
de 1915 De son séjour à Zossen, il a envoyé à son épouse quelques photos des tombes de ses camarades. Dans sa lettre du 2 juillet 1916, il développe ses sentiments patriotiques face au cafard des épouses : ( les extraits des lettres de Paul Monseux sont en italique).
« Tes cartes sont toujours
empreintes de ce fameux cafard dont il faut absolument te débarrasser, car c’est une salle bête, qui ne doit pas gagner les épouses dont le mari prisonnier est bien portant….. Il y a une chose qu’il ne faut pas oublier,
c’est la Patrie. C’est pour elle, ma chérie, que nous subissons toutes ces dures épreuves, et sois bien certaine que Dieu nous protégera et qu’il nous récompensera en nous permettant de vivre des jours meilleurs »
Pour lui, construire un monument et aménager un cimetière, c’est rendre gloire à ces « Morts pour la France en captivité »
mention décernée par la Loi du 2 juillet 1915, Art. 3. C’est pérenniser la Patrie dans ces terres lointaines et hostiles.
Il entreprend aussi la construction d’un autel dans un hangar, pour noël. « Il faut te dire que depuis 8 jours, je suis en train de faire une chapelle pour Noël. Elle est beaucoup plus petite que celle que j’ai faite à Zossen, mais plus
ouvragée. Je tacherai de la faire photographier pour pouvoir t’en envoyer un exemplaire. Comme tu vois, si tôt un travail terminé, ou à peu prés, c’est un autre qui revient. De cette façon, je n’ai
guère le temps de m’ennuyer. Même aujourd’hui dimanche, il neige depuis ce matin et je dois sitôt ma lettre terminée, continuer à aller travailler à ma chapelle. »
Zossen, N. D. d’Exil, 1914/1915 (ci-dessus) Müncheberg, La chapelle des prisonniers, 1915/1918 ( ci-dessous) Comme il le relate dans une lettre à son
épouse, Paul Monseux construit une chapelle à Zossen et une deuxième à Muncheberg.
La fraternité des prisonniers Comme Paul Monseux l’explique dans une lettre, pour ces constructions, il faut acheter des matériaux « Tout cela avec
de l’argent donné par les camarades prisonniers. » Chaque block ( compagnie de 1200 prisonniers) possède une caisse de
secours gérée par des prisonniers bénévoles. Elle apporte des secours - aux plus démunis, ceux qui reçoivent peu de colis,
- à ceux qui ont leurs foyers dans la zone rouge, envahie. Ces foyers sans chefs de familles subissent de plus les réquisitions allemandes. - aux nouveaux prisonniers, arrivant du front et qui attendent que leurs familles soient averties pour recevoir des nouvelles et des colis. - aux prisonniers russes qui en général ne reçoivent pas de colis. Leurs ressources proviennent
de dons de prisonniers, mais aussi des œuvres associatives françaises envoyant des secours aux prisonniers soit individuellement ,soit collectivement. Parmi elles, « l’Oeuvre du vêtement » est très efficace,
en plus des effets, elle adresse aussi des colis de nourriture. Ce sont les responsables de la caisse de secours qui répartissent ces dons.
Noël 1915, Le Vétement du Prisonnier
Certains dons sont constitués d’espèces et permettent des achats de conserves, lait condensé, café
à la kantine. Des récoltes naturelles non négligeables, des éléments de partage
Derrière les barbelés, la préparation du partage des colis
Les fourneaux de récupération
Müncheberg, 30 avril 1917
« Nous mangeons assez souvent de la salade de pissenlits que je cueille en allant travailler au cimetière ; les gens du pays ne mangent pas ces légumes
et trouvent drôle que nous avalions cela. Je dois en faire demain. Nous mangerons bientôt aussi de la soupe faite avec de l’oseille sauvage. Tu vois que je me soigne bien. En travaillant, nous prenons des infusions de bourgeons de sapin. Ceci n’est pas très agréable à boire mais en revanche c’est très bon pour les bronches. »
Pour couvrir les besoins, les prisonniers fabriquent des petits objets sculptés, des peintures, vendus aux gardiens allemands mais aussi
aux villageois avec la complicité des sentinelles, c’est une autre forme de gains.
Peinture de Paul Monseux Müncheberg, 1916
« Je t’assure que je ne manque de rien et regrette bien de ne pouvoir envoyer la Saint Nicolas aux enfants. J’ai
fait pour eux des dessins, des aquarelles et sculpté des coupes papiers. J’ai même refait des petits bonshommes porte allumettes semblables à ceux que papa avait fait en 70. »
Paul Monseux : Coupes papiers sculptés pour ses trois enfants
Sépultures des prisonniers décédés dans le camp. A leur charge, figuraient l’achat du cercueil, le service funèbre et les émoluments du célébrant, souvent un membre du clergé civil allemand., les fleurs et diverses prestations.
Une délégation accompagnait le corps au cimetière, sans la présence de l’officiant. Cette solidarité dans ces instant pénibles,
vécue dans cet organisme formé de bénévoles avait sûrement favorisé les dons financiers pour l’aménagement du cimetière et de son monument.
La tombe d’ Adrien Fernand Besnier + Müncheberg 8 juin 1916
La sépulture de Pierre Marie Le Chir, + Muncheberg 13 06 1916
Pièces de théâtre et concerts Les bénévoles de cette caisse d’entraide montent des pièces de théâtre et des concerts payants à l’intérieur du camp pour les prisonniers.
Chaque block possède une troupe artistique de théâtre, des chanteurs et des musiciens. Ce sont des amateurs qui apprennent et répètent leurs
pièces et morceaux pendant de longs mois. Ils sont aidés par des décorateurs, des couturiers, des machinistes, ils deviennent de vrais professionnels. Décors, costumes, accessoires et même les instruments de musique sont produits à partir de tout objet de récupération, des emballages et déchets d’ateliers. Jouées le dimanche les bénéfices sont divisés en deux, une partie pour la solidarité, l’autre pour l’hommage aux morts.
Ci – dessous, une couverture d’une partition de musique avec un auto portrait de Paul Monseux
Les prisonniers du camp de Müncheberg montent une troupe de théâtre
Müncheberg, les fondations du monument Comme je l‘ai indiqué plus haut, Paul Monseux est transféré au Kommando de travail de Müncheberg dont la principale activité
est une scierie alimentée par les forêts environnantes. Avec 6 de ses camarades, il entreprend la construction
d’un monument dans le cimetière 8 des
prisonniers français et russes décédés. Dans la formation de son équipe, il reprend Antoine Jolliot qui l’a aidé à Zossen,. Il est affecté dans une autre compagnie et un autre block. Il intègre
également son ancien collaborateur de son entreprise de Valenciennes, Fernand Caumont. 22 juillet
1916 Extraits des courriers que Paul Monseux envoyait à son épouse ( en italique)
Auto-portrait de Paul Monseux « Mon colis est arrivé en très bon état et j’ai revu ma pipe avec plaisir. C’est une vieille connaissance ; pour le tabac, j’ai
vu sur le paquet 1 f. 90. C’est épouvantable et ne m’en envoie plus. » Auto-portrait de Paul
Monseux Avec sa pipe, il se représente sculptant une vigneronne, statuette sur la photo ci - dessous,
Les trois principaux compagnons de la construction du monument ( à gauche, Paul
Monseux)
« Je suis bien content que tu ais reçu ma photo près du monument. Je t’ai envoyé aussi une vue de la porte d’entrée
du cimetière. Le camarade que tu vois au pied du monument prés du bac à mortier , c’est Joliot dont tu as déjà le portrait sur un groupe avec moi. L’autre, c’est Fernand Caumont qui a déjà
travaillé à la maison. Ce travail est terminé maintenant et dès que j’aurai une nouvelle photo, je te l’enverrai ». Mise en place de la statue
Müncheberg, 19 novembre 1916, Hiver 1916 - 1917 « Cet hiver, nous allons faire une dalle en ciment avec une croix, sur chaque tombe des soldats décédés. Tout cela avec de l’argent donné
par les camarades prisonniers. C’est un travail qui va demander quelques mois et qui nous aidera à passer le temps ». La porte d’entrée du cimetière avec son assemblage de sapins
L’alignement des tombes avant la pose des dalles
Muncheberg, 28 février 1917 Paul Monseux décrit son travail à son épouse « Depuis 6 semaines nous n’avons eu que gelée et neige
avec un thermomètre qui marquait au minimum 15 à 19 ° à 9 heures du matin et certaines nuit à 21 et 22. pour moi ce temps ne me dérange nullement. Je suis bien couvert. Nous avons notre atelier bien fermé et nous
travaillons tous les jours à nos travaux Pour le cimetière, nous faisons des dalles en ciment armé pour chacun des malheureux enterrés
ici, tant russes que français. Ce qui nous donne assez bien de travail. A sept, nous avons passé tout notre hiver à préparer
ce travail. En ce moment, nous coulons les inscriptions et je t’assure que pour dessiner les lettres russes, j’ai bien du tourment. Il n’est pas possible d’avoir inventé un alphabet aussi ennuyeux (36 lettres). Tu vois d’ici
le fourbi. Quand il va faire meilleur, nous irons poser notre travail et faire les enduits sur ces dalles brutes préparées ici. Quand ce sera terminé, je t’enverrai une photo.
Les dalles de béton sont posées et les enduits dans la phase de finition
Tu vas me dire que je suis enragé avec les photos, mais je fais cela pour conserver quelques souvenirs de ces tristes années
et puis en même temps pour que tu sois mieux renseigné sur mon sort et que tu ne te fasse pas trop de mauvais sang à mon sujet ».
Munchenberg, tombe d’un aviateur allemand « Des aviateurs allemands qui ont un champ d’expérience pas bien loin de notre camp ont vu le monument que nous avons fait et nous ont demandé si nous ne voudrions pas faire quelque
chose sur la tombe de l’un des leurs qui s’est tué en volant. Nous avons accepté et nous allons commencer incessamment. Tout cela est un passe temps très agréable comme travail et qui écourte bien les journées.
Tu vois que j’ai de quoi m’amuser pour plusieurs mois. Espérons qu’à ce moment la fin approchera. » 10 Müncheberg, 15 juin 1917, « Tu me dis ne pas être
certaine que je reçoive le colis que tu m’envoie. Tu est donc maintenant bien persuadée que l’échange des vieux prisonniers est chose faite. Je puis t’affirmer que oui et les affiches donnant les détails de l’accord
sont placées dans le camp. Le départ pour moi ne pourra être guère avant fin août ( avis personnel). Je t’enverrai
dans quelques jours ma photo avec deux camarades qui travaillent avec moi, un que tu connais déjà, c’est le sergent Georges Becquet qui doit reprendre ma succession pour les travaux du cimetière, car là, le travail n’est
pas terminé ». Müncheberg, novembre 1918 « Hier, dimanche, nous avons été, à l’occasion de la fête des morts, déposer une couronne sur le monument du cimetière. Le prêtre a fait un petit
discours qui nous a remués. Voilà la quatrième fois que j’accomplis ce pèlerinage en terre d’éxil ; Il avait été reporté au dimanche, le jour des morts ne tombant pas pour les allemands
à la même date que chez nous ». Dans le Land du Brandebourg, ce jour des Morts est célébré
le 31 octobre, date anniversaire de la Réformation de Luther qui le 31 octobre 1517 condamna la Toussaint au sujet des Indulgences. Le choix de la date anniversaire pour les Protestants est ce jour ou le dimanche suivant. Nous touchons ici toute l’ambiguïté
de la pratique de religions différentes à cette époque. Beaucoup de textes législatifs ont été
promulgués à la fin et après la Guerre 14-18, concernant l’hommage rendu aux soldats disparus. Ils avaient pour origine, le vécu des poilus. Nous avons ici l’exemple du dépôt d’une couronne dès
1917 à un monument aux morts..
Dépôt d’une couronne le premier dimanche de novembre 1918
Tu vas me dire que je suis enragé
avec les photos, mais je fais cela pour conserver quelques souvenirs de ces tristes années ( Paul Monseux) Mais le travail des 7 « Tobie » n'a pas été vain, dans les années qui ont suivi la fin de la guerre, les dépouilles mortelles des soldats français ont été rapatriées et reposent
dans leur terre natale. Les dépouilles russes ont séjourné plus longtemps. Mais ce labeur de « Tobie » a été en contradiction avec les affirmations de Pline l'ancien , Histoire Naturelle, Livre VII 55
« Mais quand on apprit que les guerriers ensevelis dans les terres lointaines étaient déterrées, on adopta la nouvelle institution... ( l'incinération) » Malheureusement, dans d'autres guerres, les « Tobie » n'ont pu intervenir et une partie de l'humanité a sombré dans le chaos.
Paul Monseux est libéré à la fin de novembre 1918
Müncheberg, le Monument à l'aube du 21e siècle.
Gràce aux photos, j'ai connu l'existence de ce monument. J'ai commencé des recherches en 1993.
Par des amis, je me suis adressé à un élu municipal
de Müncheberg, Voici sa réponse du 30 mars 1995 de M. Klaus STIEGER
E.- Thälmann- Str.. 9 15374 Müncheberg 12 Monsieur, Vous
n'avez surement pas la meilleure impression des réactions de Müncheberg concernant votre courrier. Après que le pasteur M. Müller vous a fait attendre si longtemps, encore la même chose de ma part. Aujourd'hui, finalement, j'ai
trouvé le temps de me consacrer à vos questions. Le monument des prisonniers de guerre
français que vous aviez mentionné a résisté aux terribles bonbardements qui avaient frappé notre ville à la fin de la deuxième guerre mondiale... Ilest situé en dehors de la ville, à dux kilomètres
au nord-ouest, dans une petite for^t nommée Schinderfichten. A cet endroit se trouvait, au Moyen-âge, la potence, et c'était aussi l'endroit où on enterrait le bétail mort. Ici furent enterrés, dans un cimetière simple, les prisonniers de guerre français et russes, morts pendant leur détention à Müncheberg.
Le monument que vous avez mentionné fut érigé plus tard. Par les évènements de la guerre, tous les dossiers et renseignements se sont perdus, de sorte que nous ne savons que peu ou rien du camp ni des prisonniers ni de l'histoire
de construction du cimetière. J'espère que vous pourrez me donner plus de renseignements de votre part concernant ces points. Aujourd'hui, sur le cimetière, il n'y a que des tombes de prisonniers de guerre russes; Les prisonniers français qui autrefois y étaient enterrés furent ramenés en France. Il ne reste
plus non plus de pierres tombales; Le monument lui-même devrait être
réparé prochainement. Il ne reste qu'à espérer que les moyens financiers seront accordés – même si nous n'y croyons pas trop. Trop de choses ont été négligées pendant ces dernières
décennies. Voici un premier rapport bref. Je vous prie de recevoir mes sentiments les meilleurs. ---------------------------------------------------------------------------
Ce Monument a traversé le régime nazi et le régime de la RDA Lettre
de J. - J. Caffieri à M Stieger, 24 avril 1999
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